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Page:Leroux - Rouletabille chez les bohémiens, paru dans Le Matin, 1922.djvu/96

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— Rouletabille, c’est moi qui, hier soir, à cette place même que tu occupes, suis venu avertir M. Crousillat qu’il eût à se méfier de Mme de Meyrens, qu’elle était ton mauvais génie, qu’elle contrecarrait tout ce que tu faisais, que je l’avais vue entrer dans la prison et qu’elle ne pouvait avoir d’autre but que de faire évader ceux que tu avais fait arrêter !…

— Tu as fait cela !… Tu as fait cela !… râla la voix sourde de Rouletabille… et alors ?

— Et alors, le juge d’instruction a couru à la prison, a vu le directeur et on a découvert dans les cellules des prisonniers, les limes et les vêtements de maçon !

— Assez, assez, malheureux !… j’ai compris, j’ai compris depuis que tu as ouvert la bouche… maintenant, tais-toi !

Et Rouletabille, les coudes sur la table, farouche, s’enfonça la tête dans les mains…

Jean était anéanti… Il y eut entre les deux jeunes gens un silence pendant lequel on entendait voler toutes les mouches qui s’étaient donné rendez-vous dans ce cabaret… Enfin Rouletabille releva la tête et dit à Jean :

— Inutile de revenir là-dessus, tu es assez malheureux de ce que tu as fait ! Seulement, que ce soit pour toi une leçon ! Tu ne t’imagines pas ce qu’il m’a fallu d’astuce pour faire agir la Pieuvre selon mes plans… Je savais qu’elle avait formé le dessein d’user de ses… accointances policières pour faire évader Callista, mais elle ne savait comment s’y prendre et surtout elle voulait tout me cacher, car son but était naturellement de nous desservir, toi et moi, et d’accumuler les obstacles entre nous et Odette… Alors c’est moi qui lui ai parlé le premier, je lui ai dit : « Callista est votre amie, si vous lui rendez un gros service… un service immense, elle aura confiance en vous et elle ne se refusera plus à vous donner sur Odette les renseignements dont j’ai besoin… Faites-la donc évader !… Voulez-vous que je vous y aide !… »

— C’est admirable ! gémit Jean, et je ne suis qu’une brute !

— Non, Jean, tu n’es pas une brute, mais ne te moque plus de moi ou ne t’impatiente plus quand tu me vois réfléchir… et, désormais, laisse-moi manœuvrer la Pieuvre