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À BORD

qui n’eurent même point l’occasion de « voir la mer ».

Et comme nous étions étonnés que le confrère s’attardât à la muette contemplation d’un spectacle su depuis longtemps, nous nous aperçûmes qu’il ne faisait que continuer un rêve intérieur, commencé à la villa de la Côte.

— Comme je comprends le tsar maintenant ! nous fit-il…

Tard on resta sur le pont à voir apparaître et disparaître les phares et les caps ; puis chacun s’en fut coucher avec… son chacun. L’étroite cabine n’est jamais à vous tout seul.

Le lendemain, la mère était calme, calme que c’en était honteux. Le lac d’Annecy lui-même… Des gens se sont plaints et ont réclamé des vagues. Les imprudents ! La mer était peuplée de navires. Le pas de Calais nous fit voir cinquante voiles et nous entrâmes dans la mer du Nord.

Jusque-là, nous avions toujours vu les côtes ; longtemps même nous aperçûmes aux deux horizons les falaises blanches d’Angleterre, les grises collines, les dunes de France. Mais, dans la mer du Nord, ce fut le ciel et l’eau, ce fut la mer pour la mer, et, pendant deux jours et deux nuits, nous contemplâmes l’infini, cette chose admirable pendant dix minutes.

Nous nous promettions des eaux grises et des ciels gris, des nuées proches, des brouillards et du rêve, une mer pour vaisseau-fantôme. Elle