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À BORD

— Vous avez été heureux au jeu, senor ? lui demandai-je.

— Io ne sais pas, me répond-il avec un sourire. Io ne sais pas. Io ne compté pas. Io mets l’argent dans lé pétité bourse. Io ne sais pas.

Mais les petits jeunes gens chic le savent.

Vers le soir du deuxième jour, la brise fraîchit, la mer « pluma ». Il advint ce qui devait arriver. Le transatlantique, secoué comme un vulgaire sabot, « roula » abominablement. Soixante voyageurs, après avoir vainement tenté de résister au mal qui les étreignait, s’y abandonnèrent. Ils s’enfermèrent dans les cabines, et les couloirs retentirent de sourds gémissements.

À table on fut quinze. Et l’on n’y séjourna guère. Le vent soufflait par le traversât l’avant embarquait d’énormes vagues. Pour oublier tant de malheurs, quelques-uns allèrent entendre une conférence de M. Léger, professeur au Collège de France, sur l’alphabet russe. C’est une grande distraction à bord.

Moi, je m’en fus me coucher. Je trouvai dans ma cabine mon confrère, qui se tordait sur sa couche. Il était effroyablement pâle et gisait au milieu des preuves de sa défaite.

— Songez que c’est pour Lui que vous souffrez, lui dis-je.

Il me répondit tristement :

— Il m’a pardonné, mais il se venge bien tout de même.

Il ne put rien ajouter, et pour cause.