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SOIRÉE À L’AMBASSADE

brassent. Ils s’étreignent. Ils se collent lèvre à lèvre avec indécence. Ils unissent leurs âmes dans un baiser, et dans un hurlement, et dans un verre.

Des cris joyeux. Des uniformes, des bottes, des éperons neufs viennent à nous. Trente jeunes gens, trente enfants, des officiers de ce matin, roses et jolis dans leur capote grise, envahissent la terrasse. Union de l’armée russe et de la marine française. Passe, glacial, un homme qui est quelque chose de très grand dans la police. Il regarde les matelots, qui viennent d’être accaparés à nouveau par le civil ; il nous dit : « Jamais ! jamais nous n’avons vu ça ! » Et il passe.

Ce qu’il ne dit pas, c’est que la police russe s’attendait si peu à ce que le petit peuple prît tant de plaisir à crier de compagnie pendant deux jours, qu’elle n’avait pas eu assez de précautions et qu’il a fallu taper ferme le long de la perspective Nevsky.

Les matelots songent qu’il faut regagner le pont Nicolas, où mouille le Surcouf. Ils y songent en titubant. Ils reviennent par des quartiers, par des places immenses. Il pleut. Ils suivent des avenues qui vont à l’infini. Ils les suivent en zigzaguant. Ils sont accompagnés de gens qui les arrêtent pour les embrasser. On jette les coiffes en l’air, on ne les ramasse pas. On continue tant bien que mal en chantant les hymnes chers. On arrive aux quais. La Néva est large et noire. On ne sait pas si elle coule. Elle paraît un lac sombre.