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SUR MON CHEMIN

protestation immense… un vaste cri de colère… Depuis plus de deux mois qu’on les tenait sous les verrous pour un crime qui n’existait pas à leurs yeux, ils eussent été certainement excusables de manquer de sang-froid.

Mais ils en eurent. Ce ne fut point une charrette révolutionnaire qui roula vers nous. Nous vîmes s’avancer des gens du monde, des gens du monde pleins de calme courage et d’ennui.

C’est une file indienne. Un garde républicain, un accusé, un garde républicain, un accusé. Ainsi jusqu’à quinze accusés et seize gardes républicains. Les gardes républicains sont en petite tenue, képis, uniformes sombres. Les brandebourgs rouges font une guirlande tout le long de la file qui se déroule, et qui prend son origine dans le trou noir de la petite porte placée sous les pieds de saint Louis. Celui-ci fait vis-à-vis à Charlemagne, lequel joue, pour se distraire, au bilboquet avec la boule du Monde.

Ils s’avancent, tristes, tristes ; les pardessus, les redingotes, les vestons sont noirs, les figures sont taciturnes, les démarches sont maussades. Pas un coin de fantaisie dans le défilé, pas un geste qui se moque, pas un rire qui fait la nique à la destinée. Ces gens sont trop corrects. Pas de révolte, pas de colère, pas de bravade, pas de cabotinisme. C’est admirable. M. André Buffet ouvre la marche. Il arrive, le premier, sur le seuil ; il ôte, d’un geste parfait, son chapeau haut forme ; il est dans un salon, il est chez lui ; rien