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SUR MON CHEMIN

Je me rappellerai toute ma vie ce jeune avocat auquel on avait confié un relégable, et qui voulut plaider à toutes forces, alors que le président le suppliait de se taire : « Nous venons de découvrir, lui disait le président que votre client n’est pas relégable ; il est donc inutile de plaider contre la relégation. » Mais le jeune homme n’en voulait plus démordre : « Quelle erreur est la vôtre, monsieur le président ! s’exclamait-il. Mon client est sous le coup de la relégation, et je vais vous le prouver ; après quoi, je vous prouverai également qu’il serait injuste de lui en faire l’application. » Il plaida deux heures et montra quelque talent. Le client fut relégué. « Que voulez-vous ! lui dit l’avocat, le tribunal m’a donné raison sur le premier point et tort sur le second. » Et il s’en fut, heureux de n’avoir point perdu tout à fait la partie.

J’avais fait le tour des galeries, devisant de la sorte, évoquant des souvenirs, philosophant sur ces vacances interminables qui accumulent les dossiers, causent de préjudices sans nombre aux bons contribuables, et laissent croupir sur la paille humide des cachots nos bons assassins. Je n’avais rencontré que quelques ouvriers, une robe noire et un garde républicain conduisant, avec des chaînettes, un affreux voyou. Soudain, je me heurtai à un Anglais qui sortait de la Sainte-Chapelle, un Bœdecker à la main. Il me demanda où gîtait la Cour de cassation ; je la lui indiquai d’un geste, puis je me sauvai, non sans