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SUR MON CHEMIN

qui passait par ici et qui est du Midi, s’est mis à pécher à l’ail.

Nous ne savons point si cet homme pêche sérieusement.

Et encore, moi, je n’amorce pas. Je ne gorge point le poisson de nourriture ; je pêche de ci, de là, sans avoir préparé « mon coup », comme on dit.

Vous en connaîtrez la raison. J’ai amorcé. Cela m’est arrivé une fois, il y a deux ans. J’avais préparé, dans un coin de rivière, un véritable lit de nourriture pour les gardons à venir. Il en est venu un, un seul ; on n’a jamais pêché que celui-là à cette place, mais il était magnifique. C’était une pièce. Je fréquentais alors, sur la rive, le bon peintre Bellynck, ce lui qui exposa, il y a trois ans, au Salon, le portrait en pied de M. Quesnay de Beaurepaire, dans sa grande robe rouge. Comme ce bon peintre est modeste il n’en est pas plus fier pour ça. Bellynck, donc, pendant que je baguenaudais à ma coutume, dans le pré, prit ma ligne, se mit à pêcher sur mon « coup », et sortit, avec une joie tumultueuse, mon poisson. Je considérai cela avec un morne désespoir, et je jurai que la semaine aurait quatre lundis quand on me prendrait encore à amorcer pour les artistes de M. Quesnay de Beaurepaire.

Je laisse les autres ; ils en apportent des brouettes. C’est du pain de chénevis, du blé cuit, du sang, des boulettes d’asticots ; certains arrivent avec de l’essence de térébenthine ou encore