Page:Leroux - Une histoire épouvantable, paru dans l'Excelsior du 29 janvier au 3 février 1911.djvu/37

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rien ! C’est donc pour vous, pour vous seul, que je parle, monsieur, et n’ayez crainte, je passerai les plus horribles détails, sachant ce que peut supporter le cœur d’un galant homme ! La scène de mon martyre se passa si rapidement que je ne me rappelle que des cris de sauvages, la protestation de quelques-uns, la ruée des autres, pendant que Mme Gérard se levait en gémissant : « Surtout, ne lui faites pas de mal ! » J’avais voulu me lever d’un bond, mais j’avais déjà autour de moi une ronde de troncs fous qui me fit trébucher, tomber… et je sentis leurs affreux crochets qui faisaient ma chair prisonnière comme est prisonnière la viande de boucherie aux crocs de l’étal !… Oui… oui, monsieur, pas de détails !… Je vous l’ai promis !… D’autant mieux que je ne pourrais plus vous en donner… car je n’assistai point à l’opération. Le docteur, en guise de bâillon, m’avait mis un tampon d’ouate chloroformée sur la bouche. Quand je revins à moi, monsieur, j’étais dans la cuisine et j’avais un bras de moins. Tous les troncs culs-de-jatte étaient dans la cuisine autour de moi. Ils ne se disputaient plus maintenant. Ils semblaient unis par le plus touchant accord, au fond d’une ivresse hébétée qui les faisait dodeliner de la tête comme des enfants qui ont besoin d’aller se coucher après avoir mangé