Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/140

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chevaux, bœufs, vaches, moutons, mangent la nourriture des hommes. Si l’on se proposait comme idéal de faire vivre sur la terre n’importe de quelle façon le plus grand nombre possible d’humains, les prairies devraient disparaître et avec elles tous les animaux domestiques tout au plus, pourrait-on en conserver quelques-uns comme bêtes de trait. Tel est le rêve de prétendus défenseurs des animaux, les vegetariœner ou légumistes, qui veulent que l’humanité se nourrisse seulement de légumes. Avec une alimentation uniquement végétale il y aurait place pour un plus grand nombre d’hommes dans le monde. Cet idéal d’une société égalitaire et misérable, nous l’avons déjà condamné. Or, c’est seulement dans cette doctrine que l’antagonisme qui existe, dans un petit nombre de cas, entre le revenu net et le revenu brut de la propriété agricole, prend de l’importance. Si l’on admet, au contraire, que l’homme peut se nourrir de viande, si l’on pense que l’idéal social n’est pas la multiplication la plus grande possible de la fourmilière humaine sur les débris du reste du règne animal, alors le prétendu antagonisme entre le revenu net et le revenu brut dans le cas des prairies devient insignifiant.

Lorsqu’il convertit en prairie une terre cultivée, quoiqu’il diminue parfois le revenu brut, quoiqu’il restreigne le travail de la population rurale, le propriétaire rend service à la société. Il produit la denrée qui est la plus rare dans le monde et qui ira le plus en renchérissant, la viande. Les terres à blé, à riz, à avoine, abondent sur la surface du globe, et le prix de ces marchandises a une tendance à décroître le transport en est facile et s’opère sans détérioration. Il en est autrement de la viande. Voilà donc un premier service que rend le propriétaire qui crée des prairies, en voici un second il rend des bras disponibles pour l’industrie et le commerce. Pour savoir si le revenu brut d’une prairie est vraiment inférieur au revenu brut d’une terre en culture, il faudrait joindre au produit de la première le produit du travail des hommes que la prairie n’absorbe plus et qui sont entrés dans les professions industrielles et commerciales. Supposons dix hectares de terres la-