Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/272

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Pour acquérir une rente de 1,000fr., il faut beaucoup plus d’annuités de 800 francs quand le taux de l’intérêt est de 3 p. 100 que lorsqu’il est de 5 p. 100. Il résulte de cet ensemble de faits que la situation de la classe moyenne devient alors plus dépendante chacun est obligé de travailler, d’avoir un métier, exercere mercaturam, comme disait Descartes, et de prolonger un peu plus longtemps dans la vie l’exercice de sa profession. C’était l’état de la Hollande au dix-septième siècle, ce sera celui de la France au vingtième siècle. L’épargne et le travail deviennent plus nécessaires pour les personnes vivant au jour le jour ; en même temps l’épargne devient moins tentante pour les personnes ayant de grandes fortunes ; la diminution du taux de l’intérêt équivaut en effet à une diminution de productivité de l’épargne, à une réduction des avantages que l’épargne confère. De là vient que la baisse du taux de l’intérêt a une tendance à développer les dépenses voluptuaires, le luxe ; le nombre prodigieux d’hôtels qui s’édifient de tous côtés dans nos grandes villes, la splendeur des mobiliers et l’accumulation des bijoux, les hauts prix atteints par les objets d’art ou de fantaisie, ce sont là des conséquences naturelles de la baisse du taux de l’intérêt. Moins le capital rapporte, plus on est porté à le convertir en objets d’agrément, d’ornement, de parure. Les deux extrêmes de la civilisation, la barbarie et l’insécurité des sociétés primitives et l’abondance ainsi que la diminution de productivité des capitaux dans les sociétés très avancées produisent ainsi le même effet un luxe exubérant et extravagant, de même que l’extrême froid et l’extrême chaleur donnent la même sensation.

La pensée de Stuart Mill, que l’état stationnaire, c’est-à-dire un état où le taux d’intérêt est très bas par suite de la diminution de productivité des nouveaux capitaux, la pensée que cet état amène une plus grande modération dans les désirs des hommes n’est donc pas absolument vraie ; du moins elle ne l’est point au début de l’état stationnaire, elle ne le devient qu’à la longue. Ce qui est certain, c’est que, après une période de transition, la baisse du taux de l’intérêt doit fatalement amener un rapprochement des conditions. On voit combien est