Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/311

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minutes les cours des matières premières sur les lieux de production. Le négociant du Havre et de Marseille est informé jour par jour de l’état des récoltes et de la cote des marchandises à Calcutta, à Shangaï, à Buénos-Ayres, à New-York. Le champ de l’inconnu, le domaine de la conjecture, s’est ainsi restreint. D’autre part, les bateaux à vapeur apportent en quelques semaines les produits des contrées les plus éloignées. L’excédant d’un pays atténue, s’il ne le comble pas, le déficit de l’autre. Ainsi toutes les oscillations sont moindres ; le pendule a un mouvement plus lent ; les prix se nivellent presque, du moins dans les temps normaux[1]. Les chances de facile et prompt enrichissement, de même que celles de ruine imméritée et subite, se restreignent. Il y a même des causes de ruine qui ont tout à fait disparu on a complètement expulsé le hasard de certaines catégories d’entreprises humaines ; l’esprit humain a inventé et propagé l’assurance contre les risques qui sont susceptibles de prévision et de calcul, non pas contre tous les risques, mais contre les principaux. Il y avait des sinistres fréquents jadis qui ne se représentent plus aujourd’hui. Le cas d’Antonio, le marchand de Venise qui perd tous ses vaisseaux, qui devient la proie de Shyllok et est presque contraint à lui céder sa livre de chair, ne pourrait même plus être regardé aujourd’hui comme une hypothèse ; l’assurance maritime l’a rendu impossible.

Toutes ces circonstances, en diminuant les risques, doivent réduire les profits. Bien d’autres causes y contribuent. Il n’y a plus aujourd’hui de privilège de fabrication, et les privilèges de situation perdent chaque jour de leur importance. Il n’y a non plus guère de secrets professionnels ; les procédés nouveaux sont si vite vulgarisés, que c’est à peine si ceux qui en sont les auteurs peuvent en tirer un grand bénéfice. Les brevets d’invention existent, il est vrai, et même se répandent de plus en plus,

  1. Il y a bien, sans doute, dans des moments exceptionnels, de grandes variations dans le prix de certains produits : c’est ce que l’on a vu à la fin de 1879 par la hausse de toutes les matières premières, coton, laine, fer : mais ces cas sont beaucoup plus rares qu’autrefois.