Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/350

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un grand pays — n’ont donc d’autre emploi de leurs rentes que l’achat d’objets rares ; il y a une concurrence acharnée pour se les procurer, et le prix en peut hausser sans mesure. C’est ainsi que la réduction de ce que l’on appelle le train de maison et les équipages fait renchérir les objets de luxe intérieur, tels que les tableaux, surtout de petite dimension, les porcelaines, les livres, les articles de collection. Il s’en faut que les statues haussent dans la même proportion. Notre civilisation moderne, démocratique et un peu mesquine, enrichit le peintre et ruine le statuaire. La possession de ce que l’on appelle d’un nom vulgaire, mais bien approprié, des « bibelots », classe un homme, le met hors de pair, lui donne un cachet d’élégance. Ajoutez que la spéculation s’unit au goût du luxe pour pousser à la recherche de tous les menus objets d’art ; on a remarqué que, la production en étant limitée pendant que la demande s’en accroît sans cesse, le prix a une tendance à hausser. Les financiers, les israélites, qui n’aiment pas à laisser dormir leur argent, achètent volontiers des tableaux qui, par ces circonstances, ne sont plus un capital mort, mais qui, en ornant une demeure, augmentent constamment de valeur, de 5, de 10 p. 100 par année et constituent, pour qui a su les acheter, en même temps que l’ornement le plus délicat et le plus raffiné, le meilleur des placements.

Les peintres sont donc parmi les favoris de la société moderne, peintres de genre ou peintres de portraits. Il se trouve en un pays comme la France un nombre raisonnable de personnes qui sont disposées à payer dix, douze, quinze, vingt mille francs pour faire fixer leurs traits sur une toile par une main de maître : c’est mille ou quinze cents francs de rémunération par séance. En Angleterre, où le droit d’aînesse et le grand commerce, la grande industrie entretiennent un plus grand nombre de fortunes exceptionnelles, le prix de cinquante mille francs ou même de plus encore, deux mille guinées, pour un portrait est chez certains artistes un prix courant. On est loin de Rubens qui gagnait cent francs par jour, ce que l’on regardait alors comme une très large rémunération.