Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/408

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tains arrangements accessoires dans l’organisation ou le paiement du travail : les coalitions qui ont fait supprimer le paiement des salaires en nature, qui ont amené la paie de quinzaine, qui ont fait modifier des règlements ou draconiens ou injustes, ou même celles qui ont fait réduire à dix ou à onze heures la journée de travail n’ont pas été malfaisantes. Il existe encore dans beaucoup d’industries des usages pernicieux ou humiliants pour l’ouvrier qui disparaîtront à la suite de grèves. Il est bien rare qu’un progrès notable dans l’humanité ait été obtenu sans quelques luttes, sans quelques souffrances passagères ; tout ce qui est bien s’achète en ce monde, non seulement par des efforts ou par des controverses, mais par des conflits. Le repos et le calme ne sont pas le lot de l’humanité ; l’agitation, pourvu qu’elle ne soit pas excessive, est sa condition, sinon d’existence, du moins de développement.

Ce n’est pas que, en soutenant l’utilité du droit de grève, nous entendions défendre toutes les applications qui en ont été faites. Nous admettons que sur dix il s’en trouve les trois quarts, peut-être les quatre cinquièmes de funestes. On a beaucoup exagéré cependant, à notre avis, et les bons et les mauvais effets de ces conflits entre patrons et ouvriers. Ils n’ont eu ni pour le bien ni pour le mal toute la puissance qu’on leur attribue. On n’a pas assez remarqué qu’en devenant plus fréquentes les grèves sont devenues aussi plus bénignes exactement comme les maladies quand elles sont passées à l’état endémique. Les grèves actuellement ne sont plus accompagnées de crimes comme autrefois ; les horreurs de Sheffield[1] appartiennent, si nous pouvons ainsi parler, à la période héroïque des coalitions et des associations ouvrières, à celle où les premières étaient défendues et les secondes proscrites. Aujourd’hui les grèves n’entraînent plus mort d’homme ; elles ne sont même que rarement accompagnées de violences qu’il importe, d’ailleurs, de punir avec sévérité ; elles comportent, il est vrai, ce que l’on appelle les vexations pacifiques, comme le détour-

  1. Voir la description de ces forfaits dans le livre du comte de Paris sur les Trades Unions.