Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/421

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tion ou entretien, ce cheval-vapeur dont la puissance égale celle de trois chevaux de trait et dépasse celle de vingt hommes de peine[1]. Le concours inespéré d’aussi précieux et d’aussi peu coûteux collaborateurs n’aurait-il pas dû accroître dans une énorme proportion les loisirs, l’aisance, l’indépendance, en un mot, de l’humanité ? Leur devoir n’était-il pas de l’affranchir ? au contraire, ils paraissent l’avoir asservie. Sisyphisme, telle serait la devise de notre civilisation. Tout engin nouveau que la fécondité du cerveau de l’homme découvre pour abréger sa tâche ne fait qu’accroître le travail collectif, le rendre plus continu, plus impérieux, plus monotone, plus intense surtout.

Voilà les objections. L’industrie, quoique par ses découvertes incessantes elle mérite de plus en plus son nom, ne diminue pas la fatigue de l’homme, ou bien à l’effort et à la lassitude physiques elle substitue — ce qui n’est pas un moindre mal — l’effort de l’attention et la lassitude morale. L’industrie, avec le développement merveilleux de la puissance productive, ne détruit pas le paupérisme, elle ne l’éteint pas elle le crée, au contraire, ou du moins l’accroît. Voilà ce que proclament non seulement Lassalle, Karl Marx, Proudhon, mais Stuart Mill, Émile de Laveleye, Mgr. de Ketteler, les industriels chrétiens du Nord, etc.

Pour répondre à ces critiques, qui ne sont pas, d’ailleurs, sans quelque fondement dans la période chaotique et anarchique d’installation de la grande industrie, période qui n’est pas encore complètement terminée, il faut autre chose que les banalités vides où se sont trop souvent complus les économistes contemporains.

L’industrialisme, puisqu’il faut employer ce vilain mot, n’aurait servi qu’à une plus inégale distribution des richesses. C’est cette théorie que Proudhon entre autres a développée avec sa verve habituelle : « Un fait à signaler, dit-il, c’est que depuis l’impulsion exorbitante donnée aux entreprises, certains en-

  1. Voir l’article de M. de Foville dans l’Économiste français du 9 février 1878.