Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/560

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sation tendent à l’améliorer, à l’élever. C’est ici que l’on saisit toute la fausseté, du moins dans ses applications au temps présent, de l’ancienne école économique. Toutes les dissertations de Turgot et d’Adam Smith sur la dépendance où se trouve l’ouvrier vis-à-vis du patron, toutes les distinctions subtiles de Ricardo et de Stuart Mill sur le prétendu « salaire naturel » et sur le non moins chimérique « fonds des salaires, » sont de véritables enfantillages sans aucune portée pratique. La célèbre « loi d’airain » inventée par Lassalle, la « constitution de l’humanité en pauvreté, » imaginée par Proudhon, sont des rêveries qui n’ont aucune analogie avec la réalité.

Fort de l’abondance des capitaux, de la multiplication des machines, de la demande de bras sans cesse accrue, étant depuis vingt ans seulement en pleine possession de la liberté industrielle, ayant désormais toutes les faveurs du législateur et de l’opinion publique, pouvant s’entendre, se concerter, possédant soit individuellement, soit collectivement des épargnes, ayant en main cette arme si redoutable et, quoi qu’on en ait dit, si puissamment efficace de la grève, le travailleur manuel va devenir le favori de la civilisation. Sa rémunération réelle s’accroît et s’accroîtra, même en tenant compte du renchérissement de certains objets ; ses loisirs s’élargissent, la sécurité de sa vieillesse augmente. Toutes les situations acquises se dépriment au-dessus et autour de lui la sienne seule grandit. Les causes diverses qui contribuent à ce relèvement du travailleur manuel, nous les avons analysées ; nous avons dissipé notamment les préjugés si nombreux sur les grèves, et nous avons démontré qu’en définitive les grèves avaient été, dans le passé du moins, beaucoup plus utiles que funestes à l’ouvrier. Cela est si vrai, qu’il lui est difficile aujourd’hui de conserver la modération et de ne pas abuser de ses avantages au point de finir par souffrir de conquêtes exagérées ou prématurées.

Si la condition moyenne des ouvriers s’élève, les situations exceptionnelles de détresse et de misère ont aussi, nous l’avons prouvé, une tendance à devenir plus rares. Il nous a été facile de dissiper sur ce point les préjugés, non seulement de la foule,