Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/26

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paraissait évident. Voici, cependant, que pour la seconde fois la Providence, plus clémente que nos folles appréhensions ne l’imaginent, vient au secours de l’homme. Un berger, occupant ses vastes loisirs, gratte un coin de terre et y sème négligemment quelques grains d’une graminée vulgaire : l’été suivant il y trouve une moisson, il recommence l’expérience, il l’étend, et il a un champ de blé. Un petit espace lui donne de la nourriture pour toute une année. Suivant la belle expression d’un économiste[1], « la civilisation paraît un épi à la main. »

Au lieu d’errer avec ses troupeaux sur d’énormes espaces déplaçant ses pacages, la tribu se fixe ; ce peuple, d’abord chasseur puis pasteur, devient enfin agriculteur. La terre lui semble vaste, ses inquiétudes sur l’avenir disparaissent, il se sent maître de la nature et confiant en ses propres destinées. La division du travail, le commerce s’établissent, les arts naissent ; pour vivre, il ne faut plus à chaque individu des centaines, ni même des dizaines d’hectares, quatre ou cinq suffisent.

Avons-nous épuisé la série des stages successifs par lesquels passe la société, reculant de plus en plus la limite des subsistances ? Non certes. Après que tout le pays fut défriché et mis en culture, que la population se fut accrue, il est possible qu’une fois encore quelque calculateur alarmé ait signalé à ses concitoyens l’augmentation désordonnée du nombre des habitants en présence de la petitesse de la terre, qu’il ait suscité chez eux des inquiétudes. Mais quoi !…un progrès succède à un autre. Les jachères disparaissent ; le vieil assolement triennal est remplacé ; l’art agricole apprend à se servir des eaux et des engrais ; il invente les cultures dérobées qui permettent sur un même terrain plusieurs récoltes annuelles il connaît mieux les plantes et sait les adapter au sol. Sans gagner en étendue, la terre, l’alma mater, devient plus féconde ; les sinistres prédictions que pouvait faire, avec une apparence de raison, quelque Malthus sous un système de

  1. M. Michel Chevalier.