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précaution inutile

voitures, tableaux ». Comment ? Je ne vous avais jamais raconté qu’elle disait cela. Oh ! c’est un type ! Ce qui m’étonne, c’est qu’elle élève les tableaux à la dignité des chevaux et des voitures. »

On verra plus tard que malgré des habitudes de parler stupides qui lui étaient restées, Albertine s’était étonnamment développée, ce qui m’était entièrement égal, les supériorités d’esprit d’une femme m’ayant toujours si peu intéressé, que si je les ai fait remarquer à l’une ou à l’autre, cela a été par pure politesse. Seul, le curieux génie de Françoise m’eût peut-être plu. Malgré moi, je souriais pendant quelques instants, quand, par exemple ayant profité de ce qu’elle avait appris qu’Albertine n’était pas là, elle m’abordait par ces mots :

« — Divinité du ciel déposée sur un lit ! »

Je disais :

— « Mais voyons, Françoise, pourquoi « divinité du ciel » ?

« — Oh, si vous croyez que vous avez quelque chose de ceux qui voyagent sur notre vile terre, vous vous trompez bien ! »

« — Mais pourquoi « déposée » sur un lit, vous voyez bien que je suis couché. »

« — Vous n’êtes jamais couché. A-t-on jamais vu personne couché ainsi ? Vous êtes venu vous poser là. Votre pyjama en ce moment tout blanc, avec vos mouvements de cou, vous donne l’air d’une colombe. »

Albertine, même dans l’ordre des choses bêtes, s’exprimait tout autrement que la petite fille qu’elle était il y avait seulement quelques années à Balbec. Elle allait jusqu’à déclarer, à propos d’un événement politique qu’elle blâmait : « Je trouve ça formidable. » Et je ne sais si ce ne fut vers ce temps-là qu’elle apprit à dire pour signifier qu’elle trouvait un livre mal écrit :