Page:Les Œuvres libres, numéro 3, 1921.djvu/321

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
315
antoine déchainé

Les hommes de mon âge, comme leurs aînés, n’ont en personne un conseiller plus rude, plus vrai, plus inspiré qu’Antoine. Et tous le sentent, mais la vanité chez beaucoup se rebiffe, et plutôt que d’avouer leurs faiblesses, ils disent qu’Antoine est un « exagéré », Parbleu ! Peut-il avoir les mots et les gestes du vulgaire ? Antoine est un orage tonnant sur le théâtre. Gare aux âmes timorées ! Depuis trente ans, il fonce, menaçant, plein de passions. Il force, emporte, passe, et le ciel après lui, s’ouvre frais et plus clair. Quand la vie quotidienne et banale avec ses habitudes, ses imbéciles, ses livres et ses journaux prévus me pèse trop aux épaules, j’ai besoin de visiter Antoine, comme on aspire, par les jours étouffants de l’été, à voir des nuées prometteuses d’un peu d’air et de mouvement.

Il reste chaque dimanche chez lui pour recevoir. Une pièce pour les amis, une seconde pour les raseurs, et il va de Tune, à l′autre, expédiant ceux-ci, s’attardant près de ceux-là, à moins que soudain, s’imposant à soi-même une sorte de pénitence, il ne subisse volontairement le discours d’un importun. Il se met à l’épreuve pour voir un peu. Il s’enferme avec le fâcheux, qui est dans le ravissement. Doux et résigné, Antoine écoute, il approuve, il sourit. On l’attend ; il ne revient plus. Quand tout à coup, les amis à côté entendent une explosion formidable. C’est Antoine qui éclate ! Est-ce que l’indiscret a été trop loin ? Il se croyait pourtant triomphant, mais le voici noyé dans un débordement de rage, tel qu’Antoine seul en peut avoir. Le pauvre, terrifié, prend la fuite ; une porte claque ; Antoine reparaît.

— Ah ! le salaud !

Le masque d’Antoine, dans ces minutes-là, est inouï d’expression, à la fois passionnée et blagueuse ; il ne sait plus s’il doit rire ou se fâcher encore ; il vient de « gueuler » comme il dit, à