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antoine déchainé

— Je n’ai pas le sou, moi, pas un liard ! Peux pas m’habiller comme monsieur de Fouquières ! À mon âge je me couche à une heure du matin et me lève à sept, pour gagner de quoi bouffer !

C’est la vérité. Il est tous les soirs au théâtre, en vue de son feuilleton du dimanche, où il n’a qu’un souci : mettre en lumière l’homme de talent ; et le matin, au saut du lit, il court faire du cinéma.

Cette destinée d’artiste est d’une variété cruelle et merveilleuse. Le hasard aidant, et le malheur aussi, qui toujours l’a chassé de partout, il a été curieusement, avidement, vers tout ce qui tentait son goût. Il crée le Théâtre Libre pour une élite. Celle-ci comblée, il se tourne vers le public, et il fonde le Théâtre Antoine. Il lui donne des auteurs, des acteurs. Mais un jour, il s’aperçoit qu’au lieu d’inventer il recommence. Il se dit aussitôt : « Assez ! » Il a fait surgir une nouvelle génération dramatique : qu’elle travaille ; lui, se tournera vers le répertoire. Les grandes œuvres de Shakespeare et de Molière l’enfièvrent, Il veut les monter. Il demande l’Odéon ; il l’obtient. Il y travaille tel un cheval ; y fait d’admirables choses, lesquelles restent un enchantement pour la mémoire des hommes qui les ont vues sans fiel ni parti pris ; et il s’endette, se ruine, se voit forcé de démissionner et de fuir. La guerre éclate. Il la vit avec tout son cœur, plein de contradictions fougueuses, ainsi que tous les rares hommes vrais, qui ne posent pas pour la galerie. Un de ses fils est tué, un autre blessé ; lui, se montre un jour généreux, confiant, emballé, le lendemain, écœuré, navré, rageant, pestant. Et pour vivre, pour nourrir sa carcasse, comme il dit, il commence à faire du cinéma.

Le théâtre d’abord est tombé si bas qu’il n’y a plus place pour lui dans cette misère. Ensuite, cet essai d’art nouveau le sollicite et le tente :