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antoine déchainé

pour imaginer des histoires entre les quatre murs dé mon cabinet, mais bien pour suivre à la piste la vie si riche, si belle, si drôle, je saute sur la chance royale que m’offre Antoine. Pour nia plume, plaisir assuré. Je vais travailler dans le vif, sur un modèle exceptionnel. Je vais vivre un chapitre du « roman » d’Antoine. Voulez-vous le vivre avec moi ? Pourquoi cet homme, du fait qu’il existe, passionnerait-il moins ma lectrice qu’un héros fictif et romanesque ? Hein ?… J’entends mal ?… Vous dites, monsieur, qu’il faut transposer ?… Allons donc ! D’abord il ne faut rien, sinon ne pas assommer ceux qui lisent ! Molière et La Fontaine n’ont pas eu d’autre principe. Contentez-vous-en. Laissez les « théories » aux pions qui ne produisent pas. Le vieil Homère n’a rien transposé. Il a appelé Achille Achille, Hector Hector. Permettez que de loin et faiblement je m’inspire de ce poète éternel, et que j’appelle Antoine Antoine, au lieu de le désigner sous un nom rocambolesque, en le mêlant à des aventures que j’irai chercher sous l’os de mon crâne. Elles sont là, les aventures, à ma portée : la vie me les donne. Je n’ai qu’à prendre le train pour Arles.

— Patron, je vous rejoins à la fin de la semaine ! Ma décision ravit Antoine. Il aime aussi la volonté chez les autres. Il me regarde en face. Tout son visage rit. Il a l’âge de son cœur, qui s’emballe en ce moment. Et dans cette pièce charmante, tout éclairée des reflets de la Seine, au cœur du vieux Paris, qui a tant battu, tant vécu, devant la statue d’Henri iv, ce père de la bonne humeur, il est inoubliable d’ardeur saine, et de joie devant les promesses du lendemain.

— Vous allez voir, mon vieux, dit-il avec passion, d’une voix de gorge où l’on sent comme un rire étouffé, vous allez voir cette chose épatante !… je ne dis pas qu’on peut faire… mais qu’on devine.