Page:Les Œuvres libres, numéro 5, 1921.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
99
JALOUSIE

toute ma jeunesse », disait-elle le jour où il lui était revenu. Et, en effet, c’était un peu vrai. Mais elle avait mal calculé en le prenant pour amant. Car toutes les amies de la duchesse de Guermantes allaient prendre parti pour elle et ainsi Mme de Surgis redescendrait pour la deuxième fois cette pente qu’elle avait eu tant de peine à remonter. « — Hé bien ! était en train de lui dire M. de Charlus, qui tenait à prolonger l’entretien. Vous mettez mes hommages au pied du beau portrait. Comment va-t-il ? Que devient-il ?  » « — Mais, répondit Mme de Surgis, vous savez que je ne l’ai plus ; mon mari n’en a pas été content. » « — Pas content ! d’un des chefs-d’œuvre de notre époque, égal à la Duchesse de Châteauroux de Nattier et qui du reste ne prétendait pas à fixer une moins majestueuse et meurtrière déesse. Oh ! le petit col bleu ! C’est-à-dire que jamais Ver Meer n’a peint une étoffe avec plus de maîtrise, ne le disons pas trop haut pour que Swann ne s’attaque pas à nous pour venger le maître de Delft. » La marquise se retournant adressa un sourire et tendit la main à Swann qui s’était soulevé pour la saluer. Mais presque sans dissimulation qu’une vie déjà avancée lui en eût ôté soit la volonté morale, par l’indifférence à l’opinion, soit le pouvoir physique, par l’exaltation du désir et l’affaiblissement des ressorts qui aident à le cacher, dès que Swann eut, en serrant la main de la marquise, vu sa gorge de tout près et de haut, il plongea un regard attentif, sérieux, absorbé, presque soucieux, dans les profondeurs du corsage, et ses narines que le parfum de la femme grisait, palpitèrent comme un papillon prêt à aller se poser sur la fleur entrevue. Brusquement il s’arracha au vertige qui l’avait saisi, et Mme de Surgis elle-même, quoique gênée, étouffa une respiration profonde, tant le désir est contagieux. « — Le peintre