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JALOUSIE

combien un mensonge complet serait aisément cru, et en revanche de se rendre compte à quel degré de vérité commence pour les autres dans des paroles qu’il croit innocentes, l’aveu (et d’ailleurs il aurait de toute façon bien tort de chercher à le taire, car il n’y a pas de vices qui ne trouvent dans le grand monde des appuis complaisants et l’on a vu bouleverser l’aménagement d’un château pour faire coucher une sœur près de sa sœur dès qu’on eut appris qu’elle ne l’aimait pas qu’en sœur) il levait les derniers doutes de ceux qui en avaient encore. Mais ce qui me révéla tout d’un coup l’amour de la princesse, ce fut un fait particulier et sur lequel je n’insisterai pas ici, car il fait partie du récit tout autre où M. de Charlus laissa mourir une reine, plutôt que de manquer le coiffeur qui devait le friser au petit fer pour un contrôleur d’omnibus devant lequel il se trouva prodigieusement intimidé. Cependant, pour en finir avec l’amour de la princesse, disons quel petit fait m’ouvrit les yeux. J’étais ce jour-là, seul en voiture avec elle. Au moment où nous passions devant une poste, elle fit arrêter. Elle n’avait pas emmené de valet de pied. Elle sortit à demi une lettre de son manchon et commença le mouvement de descendre pour la mettre dans la boîte. Je voulus l’arrêter, elle se débattit légèrement, et déjà nous nous rendions compte l’un et l’autre que notre premier geste avait été, le sien compromettant, en ayant air de protéger un secret, le mien indiscret en m’opposant à cette protection. Ce fut elle qui se ressaisit le plus vite. Devenant subitement très rouge, elle me donna la lettre, je n’osai plus ne pas la prendre, mais en la mettant dans la boîte, Je vis, sans le vouloir qu’elle était adressée à M. de Charlus.

Pour revenir en arrière et à cette première soirée chez la princesse de Guermantes, j’allai