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JALOUSIE

n’eût pas toléré qu’on adressât une invitation, et se serait plutôt battu comme un portefaix avec une reine, la qualité de ce qui lui faisait obstacle ne comptant plus pour lui ; en revanche il avait de trop fréquentes explosions de colère pour qu’elles ne fussent pas assez fragmentaires. « L’imbécile, le méchant drôle ! on va vous remettre cela à sa place, le balayer dans l’égout où malheureusement il ne sera pas inoffensif pour la salubrité de la ville », hurlait-il même seul chez lui, à la lecture d’une lettre qu’il jugeait irrévérente, ou en se rappelant un propos qu’on lui avait redit. Mais une nouvelle colère contre un second imbécile dissipait l’autre, et pour peu que le premier se montrât déférent, la crise occasionnée pour lui était oubliée, n’ayant pas assez duré pour faire un fond de haine où on put construire. Aussi, peut-être eussé-je — malgré sa mauvaise humeur contre moi — réussi auprès de lui quand je lui demandai de me présenter au Prince, si je n’avais pas eu la malheureuse idée d’ajouter par scrupule, et pour qu’il ne pût pas me supposer l’indélicatesse d’être entré à tout hasard en comptant sur lui pour me faire rester : « — Vous savez que je les connais très bien, la Princesse est très gentille pour moi. » « — Hé bien, si vous les connaissez, en quoi avez-vous besoin de moi pour vous présenter », me répondit-il d’un ton claquant, et me tournant le dos, il reprit la partie avec le Nonce et l’ambassadeur d’Allemagne et un personnage que je ne connaissais pas.

Alors, du fond de ces jardins où jadis le duc d’Aiguillon faisait élever les animaux rares, vint jusqu’à moi le bruit d’un reniflement qui humait tant d’élégances et n’en voulait rien laisser perdre. Le bruit se rapprocha, je me dirigeai à tout hasard dans sa direction, si bien que fut susurré à mon oreille le mot bonsoir qui, proféré par