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JALOUSIE

souffrir, un homme de grand talent prêtera d’habitude moins d’attention à la sottise d’autrui que ne ferait un sot. Mme de Guermantes aurait eu plus de droits que Mme de Citri à ce nihilisme (qui n’était pas que mondain).

Nous avons assez longuement décrit le genre d’esprit de la Duchesse pour convaincre que s’il n’avait rien de commun avec une haute intelligence, il était du moins de l’esprit, de l’esprit adroit à utiliser (comme un traducteur) différentes formes de syntaxe. Or, rien de tel ne semblait qualifier Mme de Citri à mépriser des qualités tellement semblables aux siennes. Elle trouvait tout le monde idiot, mais dans sa conversation, dans ses lettres, se montrait plutôt inférieure aux gens qu’elle méprisait. Elle avait du reste un tel besoin de destruction que lorsqu’elle eut à peu près renoncé au monde, les plaisirs qu’elle rechercha alors subirent l’un après l’autre, son terrible pouvoir dissolvant. Après avoir quitté les soirées pour des séances de musique elle se mit à dire : « Vous aimez entendre cela, de la musique ? Ah ! Mon Dieu, cela dépend des moments. Mais ce que cela peut être ennuyeux. Ah ! Beethoven, la barbe ! » Pour Wagner, puis pour Franck, pour Debussy, elle ne se donnait même pas la peine de dire « la barbe » mais se contentait de faire passer la main comme un barbier sur son visage.

Bientôt, ce qui fut ennuyeux, ce fut tout. « C’est si ennuyeux les belles choses. Ah ! les tableaux, c’est à vous rendre fou. » « Comme vous avez raison, c’est si ennuyeux d’écrire des lettres. » Finalement ce fut la vie elle-même qu’elle nous déclarait une chose rasante sans qu’on sût où elle prenait son terme de comparaison.

Je ne sais si c’est à cause de ce que la duchesse de Guermantes, le premier soir que j’avais dîné chez elle, avait dit de cette pièce, mais la