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Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/293

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Le Martyre de l’Obèse

Grande nouvelle inédite

par

Henri Béraud

I

Cette bière est excellente. A votre santé... Oui, monsieur, j’ai toujours été gros, toujours... Voici une photographie, regardez-la. C’est moi-même, tout nu, âgé de cinq mois, assis sur un coussin de velours, et suçant mon pouce. Dites-moi si, dans le genre, vous avez jamais vu mieux ? On me pesait, chaque semaine, sur les balances du boulanger, et il paraît que toutes les commères du quartier venaient voir ça. Ma sainte mère en tirait un grand orgueil. Combien de fois m’a-t-on répété les paroles de la sage-femme qui m’attendait au seuil de la vie : « Madame ! s’était-elle écriée, madame, c’est un garçon : il est rond comme une quenouille ! » Rond, vous entendez, j’étais rond en voyant le jour, et, depuis lors, on n’a cessé de me comparer à des objets renflés, à un pot à tabac, un traversin, à Balzac. Et toujours aux mêmes depuis trente-sept ans ! Il faut peser cent kilos, monsieur, pour savoir à quel point les hommes sont à court de comparaisons. Ah ! si les gens savaient !

A quoi bon toujours répéter une vérité

désagréable ? Je suis gros, c’est entendu, c’est un