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chaque jour les aliments de son repas, qui va mourir — et qui veut faire croire qu’il est dieu ?… Me prends-tu, moi, pour une folle ?

Les chrétiens poussèrent une acclamation. Onésime leva les bras pour la bénir. Elle venait de donner au procès son véritable caractère : les chrétiens ne pouvaient obéir, encore moins sacrifier, à un maître qui n’était pas chrétien. Mais, pour cette raison même, l’insulte à la divinité de l’Empereur ne se pouvait ni dissimuler, ni pardonner. S’il l’eût supporté, Pérégrinus en courait la destitution, peut-être la déportation.

— Les tortionnaires, dit-il, sauront te rendre la raison… Quelque chose de bénin, pour commencer. Ils t’arracheront les cils, les sourcils et les ongles. Cela ne t’embellira pas.

— Va… Crois-tu que je tienne aux apparences de ce corps ? Il est fait pour se flétrir : mais l’âme des justifiés demeure éternellement belle, et tu ne peux l’atteindre.

— Que ta Grandeur, protesta son père, se souvienne qu’elle est de condition noble !

— Préfères-tu pour elle le lupanar ? Tu ne dis rien ?… C’est entendu. Demain matin, elle aura peut-être changé d’idée.

C’était un usage, depuis les plus anciennes persécutions, d’abandonner les vierges chrétiennes au stupre anonyme des lieux infâmes. Une conception, qui subsista longtemps encore, attribuait à la virginité des pouvoirs spéciaux, de nature magique : on présumait qu’en effet les dieux devaient choisir de préférence les corps de femmes les plus purs, et, par leur entremise, pouvaient alors manifester des prodiges. Livrer cette femme à des mortels, c’était d’abord outrager le dieu, mais aussi déposséder la vierge des dons extraordinaires qu’elle tenait de lui : car il fuyait ce tabernacle profané. Les chrétiens mêmes le croyaient. Le respect qu’on portait à