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Myrrhine les accueillait avec une indifférence égale, ne songeant qu’à Théoctène dont elle continuait d’ignorer la mort. Aristodème n’avait pas eu le courage de la détromper et du reste se demandait s’il y trouverait quelque avantage. Ils voyaient souvent à ses côtés Onésime, qui ne concevait rien à l’obstination de Myrrhine à ne se point reconnaître chrétienne.

— En tout cas, lui disait-il, le malheur qui te frappe est sansi doute une bénédiction céleste. Il est clair que le Seigneur a des intentions sur toi. Tu es déjà chrétienne par la souffrance, il le faut devenir par la volonté. Les délices que tu connus sont impures et passagères, celles que tu peux t’assurer seront éternelles et incomparables.

Voyant Cléophon curieux de raisonnements et de philosophie, il insistait sur les preuves de la mission du Sauveur. Il revenait, pour Myrrhine, à ces promesses d’un bonheur sublime auprès duquel toutes les jouissances terrestres n’apparaissaient que comme une goutte d’eau pour un homme altéré. Elle ne l’écoutait qu’avec impatience ou semblait, dans ses paroles, n’entendre rien que ce qui lui pouvait rappeler ce passé que la foi d’Onésime estimait si méprisable.

— Théoctène n’était toujours pas là, murmurait-elle. Il n’est pas là maintenant, voilà tout ; et il m’est toujours présent… Parfois, à la tombée du jour, avant qu’il arrivât, j’allais en l’attendant m’asseoir sur la hauteur qui domine la baie de Corinthe. Je cherchais des yeux les vaisseaux qui entrent au port, ou en sortent, car je ne saurais contempler une mer sans navires ; son visage est vide, cruel, comme affamé, il me fait peur. Mais il y en avait presque toujours, au moins des barques de pêcheurs. Avec leurs voiles rouges, entre l’eau transparente et le ciel clair, elles se tenaient comme suspendues ; on eut dit