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La Forêt[1]

par
Henri Bataille

J’avais onze ans, je vivais seul avec ma mère, quand elle tomba, frappée de paralysie. La nature renversa les rôles. Ce fut la chère femme qui devint mon petit enfant : la rigidité des lèvres imprimait aux moindres mots qu’elle prononçait quelque chose d’indiciblement puéril et je me penchais sur le lit de douleur, comme on se penche sur un berceau… Souvent m’arrive-t-il encore de songer à ces premières solitudes à deux, et je les rapproche toujours de l’émouvante scène de Peer Gynt, où le fils berce la vieille mère dans son propre berceau d’autrefois, la dorlotte et la conduit tout doucement aux portes de la mort, en lui contant les mêmes histoires que celles qu’elle lui avait contées jadis, pour hâter le sommeil indocile… Ah ! les grands yeux des malades tendres ! Le silence de leurs yeux ! Car il y a vraiment des yeux qui parlent, et d’autres qui se taisent…

Nous nous transportâmes à Barbizon. Une villa, près de l’haleine fraîche de la forêt, abrita le couple anormal… La grande cornette d’une sœur s’éveillait la nuit dans la chambre de la malade, comme un phalène qu’agite la lumière, mais dès l’aurore, je courais reprendre ma garde auprès de la mère adorée. L’après-midi, je traî-

  1. Chapitre inédit de l’Enfance éternelle.