Page:Les œuvres libres - volume 1, 1921.djvu/239

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plus solitaire, plus indépendant que moi, à l’écart de toutes relations littéraires, adonné exclusivement à ma vie intime ou à mon travail. Dans ces conditions, il me fallait, pour sauvegarder cette indépendance, la compagnie des bois, et je les ai toujours hantés. Jeune, j’ai constitué le cercle de mes collaborateurs : le chêne, l’érable et le frêne. Aucun novateur de la politique ou des lettres, aucune grande figure du monde, et à coup sûr aucun génie n’a honoré de sa présence cet humble milieu recruté pourtant avec un soin minutieux. Je comprends fort bien ma prédestination. Au fond, j’étais un homme du xviiie siècle : il y a du Rousseau dans mon goût de l’évangile naturel et dans cet amour paisible de la terre. Il y a du Conventionnel dans la violence de mes idées, l’entêtement de mes convictions, dans ce sentiment insurrectionnel que m’ont légué peut-être mes farouches ancêtres albigeois. À cette antithèse d’idylle et de combat, d’apôtre et d’ermite amoureux, reconnaissez la mentalité française aux approches de 89… Après tout, c’est peut-être là l’état normal de tous les vrais indépendants, de ceux qui, par principe, ne vont pas à l’Académie et ne veulent d’autre verdure à leur chapeau qu’une touffe de lierre ou de chèvrefeuille… Pour écouter en soi les langages différents, mais confondus, de la méditation personnelle et de ces héros imaginaires qui nous possèdent, pour écouter les suggestions des idées abstraites, de notre foi politique, bref, les voix mêlées du rêve et de la realité, il suffira éternellement à l’homme d’une clairière ronde où chante un rossignol en avril et où s’ébroue, à l’automne, ce cerf qui, là-bas, s’en va bramant son amour et sa douleur…

Vivières.
Henry BATAILLE.