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Tropiques, n’importe la saison. La nuit, impétueusement, se jeta alors sur le jour et l’étrangla incontinent. Il fit très sombre, après qu’il eut fait, l’instant d’avant, très clair. Et le gémissement profond de la rafale, qui se déchirait à tous les rocs de Graciosa, en résonna mystérieusement, plus lugubre, plus glacé, plus rauque. Il apparut, à tous ceux qui écoutaient, que par une nuit si noire et si bruyante, les cris du vent et de la mer composaient une réponse assez péremptoire aux hommes qui osaient s’enquérir du sort que la tempête, inopinément survenue, pouvait avoir réservé à un pauvre fragile bateau…

XVI

Alors, ce fut, sur toute l’île, l’effroyable déferlement d’un ouragan fabuleux, tel que les blocs de granit eux-mêmes en frémirent sur leurs bases millénaires. La tempête, comme il arrive souvent sur l’Atlantique, était partie d’abord de très bas, avait rasé la mer en en faisant jaillir des flots d’embrun, pareils à d’extravagants geysers. Nulle difficulté à ce qu’un bâtiment, et surtout un bâtiment à voiles, eût été surpris, stupéfait, déconcerté par une telle alerte, et qu’il s’en fût trouvé, tout d’un coup, hors de combat et rejeté Dieu sait où. Ensuite, le vent s’était élevé, bouleversant la brise ordinaire en ces lieux, celle qu’on nomme l’Alisé. Un tohu-bohu de grains entremêlés s’en était suivi, dans quoi Borée lui-même n’eût pas su retrouver ses petits, si tant est qu’il en eût jamais eu… Alors les nuages suspendus sur l’île au Grand Puits crevèrent et une pluie torrentielle s’effondra. Mais les pluies tropicales sont brèves. Une heure ne s’était pas