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douleurs de l’enfantement, qui n’étaient, assura-t-elle « qu’une affaire d’habitude » ; puis elle se mit à divaguer, à la grande terreur d’Anne-Marie qui redoutait beaucoup les fantaisies de langage de sa grand’mère. Celle-là se crut sans doute à la cour de Louis le Bien-Aimé et affirma : « Je sais qui a donné à Mme de Marchais sa teinture ; c’est M. de Saint-Germain, il est alchimiste. Elle a les plus beaux cheveux du monde… pas un n’est blanc… le comte d’Angivilliers en est fou… il l’épousera quand M. du Marchais mourra… il mélange des drogues au clair de la lune… etc, etc… » et puis Mme du Launay, douairière, se mit à chuchoter et à parler du Roi ; elle rapprocha sa bergère du siège de sa petite-fille et lui confia en grand secret : « Le Roi n’a jamais eu Mme de Périgord ! » puis elle se renversa en arrière, riant aux éclats à cette excellente plaisanterie. Anne-Marie tremblait comme la feuille : cette voix d’outre-tombe, cette vieille femme cassée, dont les pauvres yeux rougis frétillaient d’aise au souvenir de certaines folies, lui répugnaient, quoi qu’elle en eût.

Lorsque Mme Hervé du Launay se leva pour prendre congé, la douairière, pitoyable, se prit à pleurer, elle lui fit ses adieux « pensant mourir cette nuit », et ne la laissa partir qu’après lui avoir mis silencieusement dans la main une tabatière d’or qui ne la quittait jamais, en lui faisant signe de la garder en mémoire d’elle.

Anne-Marie, craintive maintenant, rentra par les rues et non par les remparts, comme elle l’eût fait jadis ; le froid lui parut vif, le vent rude de l’équinoxe s’élevait en mer — on était en mars — et menaçait à chaque pas d’éteindre la lanterne de Perrine.

Arrivée rue Saint-Vincent, la jeune femme regarda de plus près le cadeau qu’assez étrangement elle venait de recevoir : c’était une longue