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forma et voulut à tout prix savoir d’où lui venait cet argent ; les gages d’Agathe (120 fr. par an) n’étant pas suffisant pour expliquer ses dépenses somptueuses. Il paraît bien que quelques-uns des renseignements recueillis furent d’une absurdité inattendue : d’aucuns prétendirent que les parents d’Agathe, débitants dans le canton de Mauron (Morbihan), lui faisaient régulièrement des envois de fonds ; or, les parents d’Agathe, chargés de treize enfants, en eussent été bien empêchés. D’autres parlèrent d’un amoureux avec lequel la jeune servante se promenait le soir sur la petite grève, lequel amoureux paraissait un « beau monsieur » ; d’autres encore affirmaient qu’Agathe se vanta à plusieurs reprises d’avoir une sœur de lait très généreuse… Pendant qu’elle s’informait ainsi, Mme de Saint-Cast fit une découverte qui la troubla : elle apprit à la fois (comment ? sans doute par le vicaire du chapitre que nous avons vu secourir Anne-Marie le jour de sa rencontre à la cathédrale avec Karmord) qu’Agathe était présente à cette scène, et aussi que ladite scène entre sa fille et « un inconnu » avait eu lieu. Pourquoi Agathe avait-elle gardé le silence sur cette affaire ? Pour ne pas être grondée ? Mais qui l’eût grondée ? Était-elle donc en faute ?

Interrogée cette fois par Mme de Saint-Cast, Agathe ne se troubla point, versa quelques larmes, dit « qu’elle n’avait rien su à l’église, que la foule l’avait séparée de sa maîtresse, qu’elle ne l’avait retrouvée que remise de son évanouissement, et que Mlle de Saint-Cast elle-même l’ayant priée de se taire, elle n’avait fait qu’obéir à ses ordres en se taisant ». Mme de Saint-Cast connaissait trop le caractère de sa fille pour supposer un instant que celle-ci se fût abaissée à demander le secret à une servante ; d’ailleurs, pour la première fois, elle s’avisa qu’Agathe avait le regard le plus faux