Page:Les œuvres libres - volume 24, 1923.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait apportée en dot. Il était un de ces personnages dont le nom figure presque chaque jour dans la chronique mondaine des journaux de Buenos-Ayres ; comme il disait dans son langage torturé, il était : « Un exposant représentatif de la vie supérieure du pays ».

De haute taille, vigoureux, doué d’une santé de fer, il avait cette aisance corporelle qu’ont tous les hommes de là-bas, élevés dans les estancias et qui apprennent à monter à cheval avant de savoir marcher. Autant qu’agile, il était solide et musclé ; et comment s’en étonner dans ce pays où l’on sèvre les enfants avec de la viande grillée ?

Bel homme, d’allure distinguée, le visage aquilin orné de longues moustaches, il soignait sa mise comme au temps où, adolescent, il ressentait ses premiers élans amoureux vers celle qui devint plus tard son épouse. Ses pieds, petits et cambrés comme ceux d’une femme, je les ai toujours vus serrés dans des chaussures vernies. À partir des premières heures de l’après-midi, je ne l’ai jamais rencontré qu’en jaquette avec, sur sa cravate, une perle qui semblait détachée du turban d’un rajah ; et quand la nuit s’étendait sur Buenos-Ayres je n’ai jamais manqué de voir le docteur Predraza, en smoking s’il allait dîner avec des amis au Jockey Club, ou en habit s’il accompagnait sa famille au théâtre Colon.

Sa femme et ses six filles ne lui auraient pas permis la moindre infraction aux règles que, dans les deux hémisphères, tout gentleman se doit d’observer. Et l’élégant docteur, homme énergique à ses heures, de première force aux armes, était incapable de résister aux caprices impérieux des femmes de sa maison.

Cet homme, qui dépensait des milliers de pesos[1] pour les soins de sa personne, n’avait

  1. Monnaie argentine qui vaut 5 francs.