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société de Buenos-Ayres. Doña Zoila tint à donner aux noces de ses filles tout l’apparat d’un événement historique. Cependant, le malheureux docteur se démenait du matin au soir pour tenter de joindre ces deux extrêmes qui semblaient incompatibles : maintenir l’opulence apparente de la famille sans restreindre ses dépenses et payer les énormes intérêts de sa dette qui absorbaient à eux seuls le produit des récoltes dans ses deux estancias et de la vente des bouvillons élevés dans ses pâturages. Pedraza cachait de son mieux cette angoissante situation pour éviter de chagriner sa femme. Dès qu’il se retrouvait dans sa maison entouré de luxe, au milieu de ses jeunes filles qui riaient et bavardaient comme des princesses dont l’avenir est assuré, il éprouvait un grand besoin de se montrer optimiste et échafaudait toute une série de merveilleuses affaires qui, le lendemain, viendraient rétablir sa situation.

Je ne veux pas vous lasser en vous racontant par le menu comment la ruine de Pedraza se précipita. Il lui fallait toujours de l’argent ; les banques se refusaient à lui en prêter au taux normal ; il eut recours aux emprunts usuraires. De plus, il fut obligé de vendre avec d’énormes pertes les terrains qu’il avait acquis pour spéculer sur la hausse à l’époque prospère où la richesse circulait vertigineusement dans le pays.

Cependant, en causant avec ses filles mariées et ses gendres, il affectait la bonté tranquille de l’homme immensément riche dont la mort laissera pleuvoir sur ses héritiers la manne d’une fortune. Sans même une moue de contrariété, il satisfaisait à toutes les demandes des filles qui vivaient encore auprès de lui. Doña Zoila, qui se rendait vaguement compte que les affaires n’allaient pas toutes seules, semblait parfois hésiter à lui énumérer les dépenses de la famille et envisageait la possibilité de faire quelques écono-