Page:Les œuvres libres - volume 24, 1923.djvu/172

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personne, ni lui-même, qui a jamais su de quelle ombre de confidences et de caresses contenues le mystère noir du Deuil approfondit sa nature ? Vive était sa sensibilité, cependant sa conscience pas du tout éveillée. Le grand’père qui le recueillit ne raisonnait jamais avec lui. Insatiablement Daniel allait chercher tendresse dans la Campagne. Il en vivait des jours entiers : il ne savait encore « regarder », il jouissait animalement du bleu sublime du Bourget, des pentes qui à pic y plongeant, de la brise effeuillant le ciel sur le lac ; sa plus forte satisfaction, il l’éprouvait à marcher longuement sur les crêtes des collines de Tresserve ou des Charmettes, prenant possession des onduleux paysages par la vitesse, et à les dominer de haut.

La lecture, plus que tout, l’absorba, et, seule, fit son éducation… Son orphelinage croît avec la croissance, il n’est point sauvage mais farouchement distrait : il ne reste pas à écouter les conversations, ne trouvant dans la réalité autour de lui rien qui puisse intéresser ; au contraire, comme tout est vivant dans les livres, éclatant et imagé ! Dans les récits de cape et d’épée, dans les romans historiques, c’est bien l’aventure qui le saisit et l’emporte : les péripéties, les duels, les conquêtes armées. Mais dans les albums, dans les volumes de luxe, il revient sans cesse mirer les visages, — Les Femmes de Shakespeare, de George Sand — où les traits scintillants se relient avec une finesse grave : il a le sens inné du joli et il a souvent entendu dès ses premières années vanter « la beauté » de sa mère. Quel prestige de sacrement rayonne de ce mot de miracle !… Cependant il ne recherche jamais ses cousines, il n’a pas d’amourettes comme ses camarades : seules, quelques phrases de roman lui laissent une nostalgie du Mariage, qu’il se représente sous l’image de délicat sommeil et