Page:Les œuvres libres - volume 24, 1923.djvu/180

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Au début de juillet, une nouvelle lettre de Fresnois fixa la date où ils se réuniraient :

« Je vous attends le 15. J’ai oublié de vous prévenir que vous n’aurez aucun confort : je n’ai encore pu terminer ma maison. Pas de sommiers. Les chambres sont sans verrous. La viande une seule fois la semaine ; guère de fruits ; toujours les trois ou quatre mêmes légumes. Cuisinière médiocre : une petite paysanne. Je suis loin des villes et presque des hommes. Peut-être trouverez-vous le séjour bien dur : c’est l’endroit le plus sauvage de la France ; derrière la maison, vous pouvez marcher plusieurs jours dans les bois sans rencontrer personne. Par contre, il y a une cité de renards. Vous savez que tout au contraire de vous j’aime éperdument la solitude.

« À quelques mètres au-dessous de mon logis il y a à la vérité un hameau de cinq à six feux, mais on n’en voit guère les habitants. Ils sont très arriérés. Ils n’avaient aucune notion de la peinture ; aussi, quand ils m’ont vu planter mon chevalet dans un champ, leur bon sens n’a pu admettre que ce fût pour autre chose que simuler une occupation en vue de les espionner, et un matin, ils ont choisi le moment où j’étais dans le lieu le plus retiré pour descendre en tapinois à travers la forêt avec des faux : ils avaient décidé en simpliciè de me supprimer. J’ai été assez vivement à eux et leur ai parlé du seul ton possible en pareil cas, en leur criant qu’ils n’étaient pas capables de me tuer et que, s’ils approchaient, c’était moi qui leur ferais leur affaire. Je leur ai expliqué qu’ils étaient des brutes. Ils sont maintenant mes amis et, chaque jour, m’apportent, avec des gestes délicieux, des présents frugaux.

« Cela va donc pour le mieux ; mais je suis triste. Je vous ai déjà dit quel compagnon fut