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Je ne l’ai pas vu, je ne l’ai pas entendu s’en aller. Mais je sais qu’il est parti par le grand escalier de bois. Et j’entends maintenant son pas au-dessus de moi, sur le plancher de l’étage. Les solives craquent, et geignent. Car le sapin foulé ne se plaint pas comme les autres bois : on dirait qu’il souffre davantage…

La servante aussi, n’est plus là. Elle a pris, elle, le petit escalier, celui qui descend sous la terre. Sans doute couche-t-elle là, plus bas que le rez-de-chaussée.

La nuit est enfin absolue. Et, peu à peu, la vitre où je m’appuie a glacé mon front…

Voilà que ma pensée s’allège et devient aérienne. Tout à l’heure, elle quittera ce fantôme de cerveau qui l’emprisonne encore. Peut-être, alors, moi-même, quitterai-je aussi cette apparence de corps, qui est là, appuyé contre une vitre. Peut-être, alors, quitterai-je aussi cette étape-ci, la maison de bois dans la plaine de glaces et de pierres…

Peut-être reprendrai-je le voyage…

Dans l’escalier, — dans le grand escalier droit, des pas, furtifs…

Qui descend ? qui s’en vient, de l’étage au rez-de-chaussée ? qui passe du grand escalier au petit ? qui descend encore, du rez-de-chaussée au sous-sol ? Qui s’en va, dans la nuit sourde et muette, dans la nuit honteuse, qui s’en va, obscur, vers le lit de cette maritorne, laide, pesante, grossière, bestiale ?

Est-ce l’Homme d’en haut ? Lui, le Très Sage, le Plus que Savant, dont le front trop large, sous la neige des cheveux ne contient pourtant pas le génie trop vaste ? Est-ce lui, qui descendrait, qui s’abaisserait ainsi ?…