Page:Les œuvres libres - volume 24, 1923.djvu/202

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près de l’autre, ne pouvant plus s’empêcher de se tenir les mains.

ïl est du devoir d’un romancier de ne pas perdre un geste de deux amoureux, aussi jeunes, aussi purs. L’admiration est une mission. Quelle tâche délicate d’observer ce qui se trame de plus léger et fécond dans la nature pour, un jour, le redire aux autres hommes avec cette émotion qui leur communiquera le respect de l’adolescence et la religion de l’émulation !

Daniel Vernalle écoutait mal ce que lui disait le peintre ; il se parlait à lui-même :

« J’étais venu à la campagne pour me reposer de travailler, de sentir. Je demandais aux monts, aux prairies et aux arbres de me faire oublier l’amour et d’endormir mes sens, la rapacité de mes rêves de beauté : la paix… la paix ! On ne monte si haut que pour avoir la paix ! Mon destin me surprend encore et m’impose la plus provocante vision. Maîtrisons notre envie ! Et profitons de ce que nous ne sommes pas en jeu pour regarder l’amour face à face avec stoïcisme, avec détachement, avec un mysticisme presque égal à celui du prêtre ! »

Le peintre les avait ramenés à sa maison pour qu’on y prît le thé.

Au cœur du jardin enchevêtré, il avait réservé une pelouse nue au milieu de laquelle, à la place de jet d’eau, s’élevait un rosier d’une seule tige fleurie d’une seule rose : rouge.

Au bout, contre la haie, un banc, sur lequel retombaient les branches d’un prunier chargé. On ne pouvait voir que les pieds de ceux qui y étaient assis. Tout contre, dans les branches, s’incurvait le hamac où il dormait les nuits d’été. Son goût, — ironie et tendresse — s’était plu à distribuer dans sa propriété tous les agréments con-