Page:Les œuvres libres - volume 24, 1923.djvu/213

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comme un parfum de champs au crépuscule venait à lui la fraîcheur du jeune corps baigné tout ce jour de grand air ; et dans le visage possédé d’ombre les yeux brillaient à mesure que la nuit vertigineuse tombait.

Ils rentrèrent.

Fresnois se tenait déjà devant la table de bois blanc où, sur des serviettes écrues tendues en guise de nappe, se détachait la croûte ronde du pain brun. Son visage était éclairé à arêtes dures par la lampe juchée dans un piedestal forgé de trois barres torses. Entre des pots hérissés de beaux chardons violâtres l’énorme soupière de grès fumait à l’aveugler.

Ils se rangèrent vite sur les bancs sans dossier que son goût rustique imposait pour sièges. Fresnois, les manches relevées, son veston grand ouvert sur la poitrine nue, les servit, le front barré près du nez des deux rides verticales qu’y accusait toujours la préoccupation. Vernalle n’osa lui demander s’il pensait à son tableau commencé, ou s’il avait quelque souci.

Dans la cheminée, sur un feu d’enfer, grillaient des côtelettes. Le chat noir ronronnait tout contre, les yeux comme des escarboucles. La bonne paysanne, voyant son maître muet, s’assit, sans mot dire, à sa table du fond où elle mangea sourdement tandis que les maîtres avalaient la soupe.

Solange, avec sa distraction ingénue, se tourna vers Daniel et en rencontra le regard profond : son regard de feu jaillit ! Mais, aussitôt confuse, elle se mit à rire silencieusement avec une coquetterie d’enfant ; puis son œil humide revint interroger Daniel — qui, après s’être détourné, la fixait de nouveau avec curiosité, avec attrait. Elle fronça les sourcils, prit un visage sérieux de jeune fille… et ne put s’empêcher de rire