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en moi, qui viennent de fonds mystérieux et sacrés supérieurs à ma personne. J’ai le mysticisme de la fatalité… Heureusement, je n’ai jamais désiré la femme d’un ami ; mais, si ce malheur m’était advenu, je l’aurais prise.

Le mot poignit Daniel. Solange semblait ne pas écouter, si bien qu’il put s’écrier :

— Quoi ! vous, vous ! et sans penser au mal que vous feriez au mari qui l’aime, — et à elle-même ?

— Sans doute… Si j’étais entraîné à pareille aventure, c’est que mon destin aurait voulu me soumettre à cette épreuve. Je n’emploie pas ce mot de destin par hypocrisie, mais parce que je crois à un enchaînement des forces cachées en nous et qui nous précipitent vers les fins les plus élevées auxquelles nous puissions atteindre. Si un artiste est jeté dans certaines amours romantiques, c’est la logique de ses dons qui l’y provoque : égoïsme, force, violence, rapt, tout cela servira à son art… — il parla lentement en observant Daniel comme pour le fasciner — qui est sa raison monstrueuse de vivre… à qui il faut tout verser.

Les coudes sur la table, la tête entre ses mains, Solange, les yeux incompréhensibles, sans sourire, comme si elle le défiait, considérait son frère.

— J’avoue, s’emporta Vernalle, que je ne me sens pas le droit de disposer ainsi des autres êtres ! Et les femmes surtout sont si faibles que notre impérieux devoir est de les protéger !

— Précisément parce qu’elles sont faibles, elles doivent être dévorées, dit Fresnois de son ton religieux. C’est du beau bois qui doit alimenter le foyer de nos enthousiasmes. Quel plus noble sort pour elles au lieu de moisir dans une petite existence fade !… Puis, la vie et l’expression de