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Ensuite il se sentit abattu par sa propre pensée.

Pour apaiser ces cœurs trop jeunes, Fresnois intervint avec tendresse :

— On ne doit jamais aimer jusqu’à devenir jaloux ! On devrait être plusieurs à jouir délicatement d’une même femme : on ne doit aimer que le charme qui émane d’elle comme d’un paysage exquis : souffre-t-on de le voir admiré par le plus de gens ?

La face de Marc s’empourpra et noircit : la douleur l’assombrissait tellement qu’elle ressemblait à de la vengeance contenue. Daniel fut saisi de voir à quel point s’était amaigri ce visage enthousiaste, dont quelques jours avant il admirait la triomphante fraîcheur ! Le jeune homme se raidissait avec dignité, mais il paraissait exténué, désenchanté : il apitoyait comme ces adolescents frappés dans leur orgueilleuse beauté d’un mal mystérieux. Il se leva, se détacha, et se mit à marcher, sans direction, sans raison, dans le petit jardin, en regardant les roses avec stupeur.

Fresnois s’était allongé dans l’herbe pour y dormir : Solange, pâlissant, se pencha vers Daniel et lui lança à voix basse :

— Pourquoi m’aimez-vous ?

Une curiosité pudique étincelait dans ses yeux. Elle n’avait même point dû percevoir la douleur de Marc ! Daniel en fut étreint. Il caressa sa frêle main,… fixant Marc qui se tenait immobile devant le pêcher où, dans la cage ronde, les deux tourterelles roucoulaient, se becquetaient. L’alternance de leur plainte délicieuse enivrait de désir et de navrance :

— Je l’ai invité à venir prendre désormais ses repas avec nous, dit le peintre à Daniel qui ne pouvait détacher ses yeux de Marc ; ce garçon, ce matin, s’est confié à moi : il se tourmente, mais