Page:Les œuvres libres - volume 24, 1923.djvu/249

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ment de sa propre bonté, l’exhortait vers la vie ! Il se sentait fort en sa détresse, et, en sa solitude, amoureux, hélas ! amoureux de Solange, mais aussi, à travers elle, de tout ce qui est suave : amoureux de l’idéal épars dans l’inconnu, épris de tout ce qu’il y a de délicate volupté à donner dans le monde.

Il était arrivé au tournant de la Ferme.

Le sifflet d’une locomotive, tragiquement, se répercuta entre les nobles montagnes : son cœur vibra ; ses yeux, d’un élan, se portèrent au creux de la grande vallée tendre, toute verte, où brusquement, au fil du roulement saccadé, se mit à floconner la fumée du train.

Blanche, belle, elle vola avec une grâce vertigineuse sur le pays et, aussitôt posée, dissipée. Derrière elle l’herbe noircissait ; les sapins mauves se dressaient dans l’obscurité saisissante.

Il restait là, étourdi, dans la mélodie de plus en plus ténébreuse du crépuscule, quand le sifflet d’un autre train, en sens inverse, raya le silence. Son cerveau fut comme ébranlé… et violemment, se décidant, il descendit vers le village !

Le cœur lui manquait, puis battait avec révolte : il dut s’arrêter, souvent ! Il trépidait à l’impulsion de remonter d’un trait vers la maison où, là-haut, étaient Solange et la lumière brillante de la salle à manger. Mais plus le torturait la vision du lendemain, où Marc se retrouverait seul avec elle, plus avec entêtement il se domptait, il s’imposait de se soumettre sans aucune réticence à l’impérieuse inspiration du sacrifice ! Il ne voulut même pas céder à l’idée — qui, aussitôt, avait jailli et le harcelait — d’entraîner Marc avec lui dans un voyage de quelques jours jusqu’à ce qu’il eût au moins usé assez sa douleur pour pouvoir supporter de lui livrer Solange. Un poids l’entraînait implacablement vers la gare.