Page:Les œuvres libres - volume 24, 1923.djvu/282

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Après le déjeuner on passa dans une autre chambre.

— Joue Par la rue pavée, commanda-t-il soudain, sans la moindre transition.

Une des dames s’approcha du piano et se mit à jouer. Il se leva, se balança au rythme de la musique, et frappa le sol avec ses pieds chaussés de bottes souples. Puis il commença à danser. Il dansait avec une légèreté extraordinaire. Il volait à travers la chambre comme une plume, s’accroupissant et se redressant avec agilité ; il s’approchait des dames, et leur faisait signe d’entrer en danse avec lui. L’une d’elles n’y put tenir, et, le mouchoir à la main, glissa à sa rencontre. Personne n’avait l’air étonné. Il semblait que cette danse en plein jour fût une chose toute normale.

— Et maintenant, assez, s’écria-t-il soudain, et de nouveau, d’une façon inattendue, il s’adressa à moi. — Eh bien, quoi ? tu es venue pour une affaire ? Allons, dis-moi, qu’est-ce que tu veux, ma petite ?

Il s’éloigna avec moi dans la chambre voisine. Je lui exposai mon affaire. Il réfléchit, puis me dit :

— Ton affaire est difficile. Pour l’instant, on ne peut pas souffler mot à propos des Allemands. Mais je parlerai avec elle (il prononça ce mot après une pause et un accent particulier), et elle le mettra au courant. Ça peut réussir. Quant à toi, tu viendras me voir à Piter[1]. C’est là que tu sauras le résultat.

Dans l’antichambre, prenant congé de Maria Arkadievna, je la priai de venir me voir :

— Mais pourquoi ne m’invites-tu pas, moi aussi ? Je viendrais.

— Naturellement, venez. Je ne vous invitais

  1. Abréviation courante de Saint-Pétersbourg.