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dans la salle à manger, et il s’en alla tôt, en m’invitant pour le dimanche suivant.

— Tu verras, Frantik, comme on m’aime et comme on m’estime. Ce n’est pas comme vous, les Moscovites.

19 septembre.

À la salle à manger, il y avait déjà une société nombreuse, exclusivement féminine. De la soie, du drap sombre, des zibelines et du chinchilla, des brillants de la plus belle eau, de fines aigrettes dans les cheveux, et tout à côté, le fichu usé d’une vieille femme en robe d’indienne, la coiffure démodée d’une bourgeoise, la collerette blanche d’une infirmière. La table simplement mise, avec un service à thé ordinaire, est noyée de fleurs. Il me prit par la main et me présenta à toute cette société pleine d’animation :

— Voilà ma préférée, celle de Moscou : Frantik.

Toutes m’accueillirent avec respect et amabilité. On me fit asseoir à côté de l’infirmière que l’on appelait Kilina. J’appris par la suite qu’elle s’appelait Akoulina Nikitichna. C’est une ancienne nonne, qui a quitté le couvent pour suivre Raspoutine. Elle ne le quitte jamais et vit dans son appartement. On me versa du thé. Je tendis la main pour prendre du sucre, mais Kilina, prenant mon verre, dit à Raspoutine : « Bénis-le, père. » Il plongea ses doigts dans le sucrier qui était près de lui, prit un morceau et le mit dans mon verre. Voyant mon étonnement, Kilina m’expliqua : « C’est une bénédiction de Dieu, quand le père lui-même met le sucre de ses propres mains. » Et je remarquai en effet que toutes les dames tendaient vers lui leurs verres avec dévotion. À sa droite était assise une jeune femme