Page:Les œuvres libres - volume 24, 1923.djvu/314

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— Si tu veux du madère, sonne le laquais. Il enverra un domestique en chercher. Quant à moi, je n’obéirai pas à des ordres pareils.

— Et moi je te dis que tu iras. Si je t’envoie, tu dois aller.

Il me regarda fixement avec des yeux où je vis s’allumer et s’agiter les feux de la folie. Je détournai involontairement les yeux, et je m’écriai, hors de moi :

— Je te prie de ne pas t’oublier. Je ne suis pas ta servante, et je n’exécuterai pas de pareils ordres.

Lola, ayant entendu mes cris, accourut dans la chambre.

— Que se passe-t-il ? Il me semble, père, que tu viens d’outrager Hélène.

Il courait à travers la chambre, le visage altéré. Ses yeux lançaient des éclairs. Mais, petit à petit, il parvint à calmer son emportement sauvage. Il s’approcha de moi, et soudain me prit par la taille.

— Ne te fâche pas, Frantik, j’ai fait ça exprès, je voulais savoir si tu m’aimes. Si tu m’aimais, tu m’aurais obéi. Tu serais sortie à minuit, et dans la neige. Mes petites bourgeoises n’auraient pas refusé, elles. Il n’y en a pas une qui ne serait pas allée, et avec joie. Mais toi, évidemment, tu ne m’aimes pas.

— Mais jamais je ne t’ai dit que je t’aimais.

Il se tut et se remit à marcher dans la chambre. Puis, peu de temps après, il s’en alla.

10 décembre.

Nous ne sommes pas allées dîner avec les ministres, malgré une seconde invitation de Raspoutine. Nous étions heureuses de pouvoir passer tranquillement la soirée, et nous nous mîmes au lit vers une heure du matin. Au moment où nous allions nous endormir, on frappa à la