Page:Les œuvres libres - volume 24, 1923.djvu/331

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jour une mauvaise parole de moi. Tu es la meilleure de toutes, tu es sans manigances. Demande-moi ce que tu veux, je ferai tout ee que je pourrai.

Je n’avais guère l’envie de parler de mon affaire. Je savais que de nouveau il traînerait les choses en longueur. Je restai silencieuse.

— Peut-être veux-tu de l’argent ? Tu veux un million ? Bientôt se terminera pour moi une affaire sérieuse. Je recevrai beaucoup d’argent.

— Voyons, père, je n’ai nullement besoin de ton argent.

— Bon, bon, mais je serais heureux de faire tout pour toi. Tu es très bonne, Frantik, avec toi l’âme respire à l’aise.

Chez la générale, deux agents de la préfecture l’attendaient déjà. Il embrassa tout le monde, me pria de revenir le voir, et nous nous séparâmes. Il partit à la gare, accompagné par les agents.

Juin 1922. Berlin.

Six ans sont passés. Et voilà que je retrouve les feuillets de mon Journal, et le portrait de Raspoutine avec ses pattes de mouche, ses lettres, et ses télégrammes. Si je n’avais pas en main ces preuves de tout le passé vécu, je ne croirais pas que tout cela ait pu être réel. J’aurais pensé qu’il s’agissait d’un rêve. Comme tout cela est loin, et comme ces pages de ma vie me paraissent incroyables ! Pourtant je tiens en main ces feuilles jaunies, froissées, couvertes d’une écriture d’illettré. Je vois ces larges lettres disposées tout de travers. Et je lis : « À ma bonne Frantik », et de nouveau j’entends la voix chantante qui traîne sur les o. Voici aussi le portrait, grand, bien fait. Il me l’a envoyé avec une inscription : « À ma chère Lenotchka bien-aimée dans le Sei-