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serais la vie, en le tutoyant : « Va-t’en, je n’ai rien vu, je ne te dénoncerai même pas… que la police te découvre. Va-t’en ! »

Tout ce que je ne sais pas pour ne l’avoir point éprouvé, je l’imagine à merveille.

Le numéro 363 du Palace, que, toutes les nuits, le fêtard américain du 463 réveille en lançant par l’espace un soulier qui retombe sauvagement sur le plancher et qui (pauvre 363 !…), à l’étage inférieur, compte posément : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7… les sept secondes qui le séparent de l’inévitable et chronométrée chute de l’autre godasse, m’est un cousin d’infortune.

Et lorsque le malheureux 363, ignorant qu’un nouveau 463, unijambiste celui-ci, a remplacé le pochard de Chicago, en route pour ses pénates, eut entendu (pauvre 363 !…) tomber la seule chaussure de l’invalide et que, avec sa belle résignation, il se reprit à compter les sept secondes habituelles… qu’il dut pousser jusqu’à dix… puis quinze… puis trente ! et cela vainement !… quelle angoisse ce pauvre 363 ne mit-il point dans cette imploration poussée vers son voisin d’en haut : « Monsieur… monsieur… je vous en supplie… jetez l’autre… » Ce malheureux n’a pas été plus avant que moi dans la détresse nocturne.

Le sommeil, c’est la confiance. L’insomnie, c’est la méfiance.

La plupart du temps, on attribue au bruit qui se fait et qu’on entend l’impossibilité de dormir. Alors, on calfeutre, on liégeoie, si j’ose m’exprimer ainsi (la chambre de Carlyle était garnie de liège entièrement), on se loge des boules d’ivoire dans les oreilles, on fait monter des concierges à qui l’on adresse des remontrances et qui, dans la posture de l’innocence qu’on soupçonne, étendent les bras, lèvent les sourcils et jurent et vous prouvent « qu’il ne peut pas y avoir eu de bruit »… On écrit au préfet de police pour lui si-