Page:Les œuvres libres - volume 24, 1923.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’étage ; je retenais mon souffle. Je savais que l’homme, agacé par de fréquentes insomnies, descendait parfois se promener dans le jardin, qu’il lui arrivait de frapper à la porte de sa femme. Une vague comme un vent chaud se gonflait alors dans ma poitrine. Mes yeux le recréaient dans sa chétivité physique, l’être acariâtre, au teint bilieux, aux yeux jaunes, l’épaule déjetée ; certes, la seule détente de mon poing l’enverrait au sol…

Un chuchotis, le gazouillis nocturne d’un oiseau, c’était la voix de Marie-Anne ; elle déviait le cours d’imaginations à tout prendre inopportunes. Je n’en étais pas moins conduit à lui représenter, l’instant d’après, cette alternative ; elle ne répondait que par un sourire ou une moquerie : « Tu te cacheras sous le lit » ; si j’insistais, par une moue, tout un dédain. Je n’allai pas plus loin, gêné de me montrer inégal à son insouciance ou à sa bravoure.

Marie-Anne me contait vingt futilités charmantes, elle m’indiquait les nouveaux repères, dans sa chambre, de sa vie secrète : ce bois sans demi-teintes, d’un brutal lyrisme : le Désir, de Savignon, que je lui avais offert, ce petit miroir dont l’ovale d’argent avait encadré nos deux visages à la fois, un jour ; papotages, gracieux gestes, légers riens. Toutefois, aucune allusion aux raisons de son appel.

Je ne fus pas sans m’en trouver un peu étonné, à la longue ; lié au tour gentil qu’elle continuait de donner à son bavardage, je ne voyais guère toutefois comment je l’en aurais détournée pour aborder l’entretien peut-être maussade et, tout compte fait, maladroit. Je ne fus donc que l’auditeur courtois, affectueux. Une heure passa.

Elle ne passa pas vite vers la fin, je dois le dire. La situation dans laquelle je me trouvais, et quoique je n’entendisse plus aucun bruit dans