Page:Les œuvres libres - volume 24, 1923.djvu/50

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main, où tomberais-je, moi, si nouveau venu dans ce monde trop jeune et trop terrible ?…

Alors ma main, crainte d’être lâchée, ne lâche pas, se cramponne… Est-ce que j’ai peur ? Mais non ! Ici, les petits enfants n’ont pas peur, quand leurs papas leur tiennent la main ; et mon papa… (ici, les pères s’appellent des papas… quel joli, quel parfait nom !…) mon papa tient ma main…

Et puis, pourquoi ce monde serait-il terrible ? D’abord, il n’y a pas d’autre monde : je suis tout petit enfant, je ne connais rien, sauf ce monde-ci, ce monde d’ici… et pourquoi serait-il jeune ? je suis tout petit enfant, rien n’est plus jeune que moi, rien n’est jeune, sauf moi…

Et, surtout, mon papa tient, dans sa grande main, ma petite main, solidement serrée…

C’est l’Yseron, cette rivière-ci, qui se donne des airs de torrent…

Mon papa et moi, nous marchons le long de l’Yseron ; nous descendons bien paisiblement vers le Rhône…

Car l’Yseron se jette dans le Rhône, — vous savez ? — au-dessus d’Oullins… et Oullins est une petite ville industrielle, sise à huit kilomètres au sud de Lyon, sur la rive droite du Rhône…

… Au sud de Lyon, métropole des Gaules… de Lyon, la ville d’où je suis parti… (il y a combien de millénaires ?…) de Lyon, la ville où je reviens, aujourd’hui… (aujourd’hui ? quel jour ? quelle saison ? quel siècle ?…).

Le pêcheur, pourtant, pêche toujours, au confluent de l’Yseron et du Rhône. Même, un poisson blanc, le ventre en l’air, vient de dériver, près du