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LE SUCRIER EMPIRE

La plus grande cordialité a tout de suite régné. Il a fallu déjeuner ensemble et boire un chambertin 96, mais si jeune qu’on nous l’a apporté dans un petit berceau d’osier. C’est vers le dessert que j’ai commencé à aimer Jeanne. Mon Dieu ! que le dessert va bien aux femmes ! Leur teint s’anime, leurs mains courent sur la table pour cueillir des sucreries multicolores, elles n’ont plus faim, elles ne s’occupent que de plaire. Enfin, il est convenu qu’au dessert on peut dire des bêtises. Nous n’y avons pas manqué. Cela a été si gai qu’on a promis de se revoir le soir même. Et nous avons traversé le restaurant en riant encore, sous l’œil funèbre des larbins qui étendaient les nappes, pour le soir, comme des draps mortuaires.

Les jours suivants, ç’a été la vie des plages, l’excursion au rocher d’où l’on a une si belle vue sur une affiche de Quinquina, l’horrible tournée qui promène le grand succès parisien mal joué par des artistes qui sentent encore le chemin de fer, l’heure du bain, deux ou trois maillots qu’on regarde avec intérêt, et le croupier dyspeptique qui annonce : « Rien ne va plus ! » comme s’il parlait de son estomac.

J’ai fait à Jeanne une cour discrète en commençant par l’indispensable : être toujours du même avis que la femme que l’on désire. C’est ainsi que j’ai trouvé des crépuscules très ordinaires « ciels de Venise » ; que j’ai appelé la musique de Wagner une fanfare pour philosophes ; et que j’ai porté des chemises à col ouvert, avec lesquelles on a toujours l’air d’attendre Deibler pour le lendemain.

Un matin, Poussenot est parti, rappelé à Paris peur une affaire énorme, cinq cent mille bretelles dont le Gouvernement soviétique avait besoin pour l’armée russe. Après des adieux cordiaux sur le quai de la gare et des mouchoirs agités